Pour de nombreux propriétaires d'animaux en France, le premier réflexe lors de l'achat de croquettes chez Carrefour ou Leclerc est de vérifier que la « viande en premier » figure bien en haut de la liste. C'est un conseil que l'on entend partout : si le poulet ou le bœuf est le premier ingrédient, l'aliment est de qualité. Cependant, ce critère de sélection est devenu le terrain de jeu favori du marketing industriel. Derrière cette promesse de transparence se cache une technique légale mais trompeuse : le fractionnement des ingrédients (ou « ingredient splitting »). Cette méthode permet aux fabricants de faire passer des sources de glucides bon marché avant les protéines animales dans la réalité de la recette, tout en maintenant la viande en pole position sur l'étiquette.
Qu'est-ce que le fractionnement des ingrédients ?
Le fractionnement des ingrédients est une astuce de formulation qui consiste à diviser un ingrédient de qualité inférieure en plusieurs sous-catégories plus petites. Prenons l'exemple du maïs. Au lieu d'inscrire « maïs 40 % » sur l'emballage, ce qui placerait cette céréale loin devant le poulet, le fabricant va diviser ce volume. Sur l'étiquette, vous verrez alors apparaître du « maïs entier », de la « farine de gluten de maïs » et de la « semoule de maïs ».
Individuellement, chacun de ces composants pèse moins que la viande fraîche listée en début de composition. Pourtant, si vous les additionnez mentalement, le maïs devient l'ingrédient principal, représentant parfois plus de la moitié du sac. Cette pratique est monnaie courante dans l'industrie du pet food en France, car elle permet de séduire les consommateurs soucieux de la santé de leur compagnon sans pour autant augmenter les coûts de production.
Pour repérer ce piège, il faut scruter la liste au-delà des deux premiers noms. Si vous voyez deux ou trois formes d'une même céréale ou légumineuse (comme les pois, l'amidon de pois et la fibre de pois), vous êtes face à un fractionnement délibéré visant à manipuler votre perception de la qualité nutritionnelle.

Le mythe de la viande fraîche et du poids de l'eau
Un autre facteur qui renforce l'illusion de la « viande en premier » est la teneur en eau. La législation impose de lister les ingrédients par ordre de poids décroissant avant cuisson. La viande fraîche (poulet, dinde, bœuf) contient environ 75 % d'eau. Les céréales ou les légumineuses sèches, elles, n'en contiennent que très peu.
Lors de l'extrusion (la cuisson des croquettes), l'eau de la viande s'évapore. Si une recette contient 20 % de poulet frais et 18 % de riz, le poulet apparaît en premier. Mais après cuisson, la part réelle de protéines de poulet peut tomber à seulement 5 % du produit fini, tandis que le riz reste à 18 %.
C'est ici que le fractionnement devient redoutable : en combinant l'utilisation de viande riche en eau (qui pèse lourd au départ) et le découpage des glucides en petites portions, les marques créent un profil d'ingrédients qui semble premium alors qu'il est majoritairement constitué de remplissage. Pour une analyse plus juste, cherchez des termes comme « protéines de viande déshydratées » ou « farine de viande », qui représentent la teneur réelle en protéines une fois l'eau retirée.

Comment faire le calcul mental en magasin
Lors de vos prochaines courses chez Truffaut ou en animalerie spécialisée, adoptez une méthode d'analyse simple. Ne vous arrêtez pas au premier ingrédient. Regardez les cinq premiers composants du produit. Si vous constatez que trois d'entre eux sont dérivés de la même source (par exemple : riz, farine de riz, brisures de riz), regroupez-les par la pensée.
Faites attention aux familles d'ingrédients. Aujourd'hui, avec la mode du « sans céréales », le fractionnement s'est déplacé vers les légumineuses. Il n'est pas rare de voir des pois jaunes, des pois verts, de la farine de pois et des protéines de pois dans la même liste. Cette accumulation peut mener à une carence indirecte en taurine ou à des troubles digestifs si la source de protéines animales est en réalité minoritaire.
Un bon indicateur est le taux de glucides, souvent absent des étiquettes mais calculable : 100 - (Protéines + Matières grasses + Cendres + Humidité + Fibres). Si ce chiffre dépasse 35 %, il y a de fortes chances que le fractionnement ait été utilisé pour masquer une présence massive d'amidon derrière une façade de viande fraîche.

Signes d'alerte et limites du marketing
Il est crucial de comprendre que tous les fractionnements ne sont pas malveillants, mais ils doivent être justifiés. Parfois, l'utilisation de différentes parties d'une plante peut avoir un intérêt nutritionnel spécifique (fibres vs amidon). Cependant, lorsque cela sert uniquement à placer la viande en tête, la transparence en pâtit.
Soyez particulièrement vigilant si l'étiquette utilise des termes flous comme « sous-produits d'origine végétale » ou « céréales » sans précision. En France, la DGCCRF veille à la loyauté des transactions, mais les nuances sémantiques permettent une grande flexibilité aux fabricants.
Si vous remarquez que votre chien ou votre chat a des selles volumineuses, un poil terne ou une faim constante malgré des rations généreuses, cela peut signifier que la « viande en premier » affichée sur le sac n'est qu'une façade. Un aliment réellement riche en protéines animales de qualité sera plus dense, plus digestible et nécessitera des quantités journalières moindres.

FAQ
Pourquoi les fabricants fractionnent-ils les ingrédients ?
L'objectif principal est de manipuler l'ordre d'apparition sur l'étiquette. En divisant un ingrédient peu coûteux (comme le maïs ou les pois) en plusieurs composants, le fabricant s'assure que la viande, plus lourde mais plus chère, reste en première position pour rassurer l'acheteur.
Le fractionnement est-il interdit en France ?
Non, c'est une pratique légale tant que chaque ingrédient nommé est effectivement présent dans la recette. C'est aux consommateurs d'être vigilants et d'apprendre à décrypter la liste complète pour comprendre la hiérarchie réelle des composants.
Comment savoir si la viande est vraiment l'ingrédient principal ?
Vérifiez si la viande est sous forme déshydratée (farine) plutôt que fraîche, car son poids sera plus stable. Assurez-vous également qu'il n'y a pas plus de deux dérivés d'une même source de glucides dans les cinq premiers ingrédients.
Conclusion
En conclusion, la mention « viande en premier » est un excellent point de départ, mais elle ne doit jamais être votre seul critère d'achat. Le fractionnement des ingrédients est une réalité de l'industrie agroalimentaire pour animaux qui nécessite un œil exercé. En apprenant à regrouper mentalement les composants et en calculant le taux de glucides réel, vous reprenez le pouvoir sur l'alimentation de votre compagnon.
N'oubliez pas que chaque animal est unique. Si vous envisagez un changement de régime alimentaire suite à vos découvertes, faites-le progressivement sur une dizaine de jours pour éviter les troubles digestifs. En cas de doute sur l'état de santé de votre animal ou sur ses besoins nutritionnels spécifiques (allergies, pathologies), consultez toujours un vétérinaire ou un nutritionniste animalier qualifié.
Références et sources
Cet article a été rédigé à l'aide des sources suivantes :

